Alizée Gerard continue de vous éclairer avec un article complet sur le biomimétisme et l’écologie dans Jules Verne.

Introduction

Jules Verne : un pied dans le réel, l'autre dans l'imaginaire

Passionné par les sciences et la vulgarisation, Jules Verne est surtout célèbre pour ses romans d’anticipation. Véritable visionnaire, il est un précurseur de ce que l’on nomme aujourd’hui le biomimétisme.
Jules Verne n’avait pas de formation scientifique. Il était un homme profondément ancré dans les avancées technologiques de son temps, attentif aux progrès scientifiques et à la révolution industrielle. Mais il était avant tout fasciné par l’incroyable diversité de notre environnement, de la lune aux abysses, et soucieux de sa préservation face aux dérives possibles de la science.

Grâce à son intérêt pour les exploits techniques du XIXème siècle, sa créativité débordante, ses romans pleins de poésie, il a imaginé les inventions les plus folles, alimenté les expériences de générations de savants et inspiré nombre d’innovations, parfois très récentes (les voiles solaires, la capsule spatiale, l’exploration des fonds marins, …). La légende lui prête d’ailleurs une déclaration selon laquelle l’écrivain aurait affirmé: «Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes sont capables de le réaliser».

Un monde en équilibre précaire et en constant questionnement

Les « Voyages extraordinaires » ont cette particularité de nous montrer une vision du monde, et même de l’univers, qui n’a guère vieilli. Cette vision témoigne de la façon dont les hommes s’approprient le monde, l’exploitant de façon insolente pour vivre pleinement. Si dans des romans comme La Jangada ou Famille-Sans-Nom, il ne s’agit que de couper maints arbres et de tuer maintes bêtes pour se chauffer ou se nourrir, la rage de la chasse, pour son plaisir personnel ou pour vendre toujours plus de peaux, traverse toute l’oeuvre. 

La confrontation entre inventions humaines et nature

Les sciences naturelles occupent une large place dans les oeuvres de Jules Verne, au travers de la découverte de la faune, la flore et la minéralogie des endroits explorés. Si les héros de ses romans sont souvent confrontés aux dangers d’une nature qu’ilsdécouvrent, c’est également au travers de ses gigantesques machines qu’il souligne une collision entre réel et imaginaire, nature et science. Ses créations hybrides, moitié mécaniques, moitié animales, imitent la nature tant dans sa perfection que dans sa monstruosité. Elles nous révèlent ainsi une nature à la fois puissante et fragile, bien souvent au travers de violents affrontements qui opposent les machines à leurs «semblables», tels que la confrontation entre une harde d’éléphants et le Géant d’Acier, leur modèle mécanique, dans «La Maison à vapeur» ou la rivalité entre le Nautilus et un «monstrueux troupeau» de cachalots dans «Vingt-mille lieues sous les mers».

Les limites de l'homme face à la nature

Dans les «Voyages extraordinaires», l’esprit de conquête, de découverte et de construction sont des notions très présentes. Cependant, l’écrivain du progrès exprime également les limites fixées par la nature et nous rappelle alors que cette dernière domine l’Homme. Les explorations scientifiques et techniques des héros de Jules Verne sont en effet souvent confrontées à une nature toute-puissante. Aux confins de certaines régions reculées du globe, l’explorateur se demande parfois s’il n’est pas là où il ne devrait pas être. À une époque où le progrès semble l’emporter, Jules Verne nous révèle au travers des péripéthies de ses héros qu’il faut savoir faire preuve d’humilité et que « Décidément, on ne remplace pas les beautés de la nature par les merveilles de l’industrie.» (extrait de «l’Île à hélice»).

Preuve de son inquiétude face au danger d’un progrès excessif, il écrivait dès son premier roman, «Cinq Semaines en ballon» : «Cela sera peut-être une fort ennuyeuse époque que celle où l’industrie absorbera tout à son profit. À force d’inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles

Un raisonnement biomimétique

Cette méthodologie pluridisciplinaire s’inspire du vivant pour tirer parti des solutions et inventions qu’il nous a concoctées. Entre imaginaire, respect et fascination, il apporte un nouveau regard sur les richesses de la planète et offre un nouveau rapport entre l’Homme et son environnement naturel. C’est aussi une manière de rassembler scientifiques, créatifs et rêveurs autour d’un même défi : rendre les sociétés humaines plus compatibles avec la biosphère, mener l’Homme à collaborer avec la nature, prendre exemple sur les incroyables créations innovantes qu’elle peut nous inspirer, plutôt que d’engendrer des conséquences néfastes sur celle-ci par les actions qu’il mène.

Ces préoccupations, Jules Verne les avait déjà bien en tête à son époque et avait d’ailleurs déclaré que « La véritable supériorité de l’homme, ce n’est pas de dominer, de vaincre la nature ; c’est, pour le penseur, de la comprendre, de faire tenir l’universimmense dans le microcosme de son cerveau […] ». Au travers de ces romans, Jules Verne pose des questions sociétales, sur la façon dont l’homme va surexploiter ses capacités techniques, sur sa relation avec l’environnement et son envie de dominer au détriment de la durabilité des conditions terrestres.

Nous ne sommes bien entendu pas dans des situations identiques. Mais nous pouvons être les enfants de Jules Verne en nous efforçant à notre tour de mettre notre ingéniosité au service de cette folle utopie : un homme qui s’adapte enfin au monde encessant de l’exploiter outrageusement.

Les Machines

Entre technicité bien pensée et création imaginaire, la machine chez Jules Verne est souvent source d’inspiration, aussi bien pour les rêveurs que les scientifiques. Créatures hybrides à la fois mécaniques et animales, engins technologiques voire futuristes, les machines verniennes se rapprochent d’avantage des inventions de Léonard de Vinci que des réalisations des industriels. Les machines de Jules Verne ne sont conçues que pour le voyage de ses inventeurs. Comme le souligne Jean Chesneaux, elles ne sont pas génératrices de plus-value et n’exploitent que les ressources de la nature. En effet, aussi bien l’Épouvante que Standard-Island ou Le Géant d’acier sont détruits à la fin du roman. Les machines verniennes servent à assurer le déplacement de leur inventeur à travers le monde et l’espace-temps.

Mais la machine possède un rôle déterminant pour l’exploration du texte vernien. Elle se situe à l’interférence de l’homme et du cosmos. En effet, le cosmos est véhicule, l’homme devient machine, et la machine s’inspire par ses formes animales du cosmos.

L'albatros

Dans son roman « Robur le Conquérant » paru en 1886, Jules Verne conte l’histoire de Robur, un inventeur brillant qui provoque la colère des membres du Weldon-Institute, un club rassemblant tous ceux qui pouvaient s’intéresser à l’aérostatique, en disant que l’avenir appartient non pas aux ballons, mais aux machines volantes. Il construit alors l’Albatros, une machine volante mue par l’électricité, et emmène deux des membres du club dans un périple autour du monde à bord de son invention. C’est justement cet engin qui est le gigantesque « prédécesseur » de l’hélicoptère puisqu’il consiste en une plateforme s’envolant grâce à deshélices tenues en parallèle au sol.

Robur le conquérant propose donc de créer un appareil d’aviation qui imite l’oiseau et affirme d’ailleurs : «Il n’y a qu’à imiter la nature, car elle ne se trompe jamais.». Il va ainsi s’en inspirer et créer un engin plus léger que l’air qu’il nommera l’Albatros en référence à cet oiseau qui utilise la surface portante de ses ailes pour planer sans effort.
La création de l’Albatros souligne également une notion importante dans l’application du biomimétisme : le choix des matériaux, respectueux de l’environnement. La carlingue de l’aéronef est faite de « papier sans colle, dont les feuilles sont imprégnées de dextrine et d’amidon, puis serrées à la presse hydraulique », ce qui donne une matière dure comme l’acier et très légère.

L'épouvante

Dans le roman «Maître du monde» paru en 1904, Robur le Conquérant revient à la civilisation, à bord cette fois d’un véhicule amphibie extrêmement rapide nommé l’Epouvante. À la fois capable de se déplacer sur ou sous les eaux, Jules Verne décrivit l’Epouvante comme un combiné de voiture, de sous-marin et « d’aviateur ». L’appareil se soutenait et se mouvait en l’air grâce à ces grandes dérives placées sur les flancs de l’appareil qui se détendaient comme des ailes d’oiseau, d’insecte ou de chauve-souris. et se rabattaient à l’état de repos sur ces flancs. « Comme un oiseau dont les ailes battaient avec une extraordinaire puissance. », l’Epouvante était bien un appareil à ailes battantes, doté d’un système du plus lourd que l’air et non un aéroplane, bien que ce dernier se révèlera finalement bien présent et utile lors de sa descente au dessus des chutes du Niagara.

En utilisant pour la propulsion de son engin des « turbines Pearson’s » Verne prédit l’avènement du turbo-réacteur, même si les capacités de décollage sinon vertical du moins très court de l’engin semblent lui venir de ses ailes battantes!

Le Géant d'Acier

Dans «la Maison à vapeur» paru en 1880, le capitaine Hod réalise Le Géant d’acier, sur commande du rajah de Bouthan. Un train routier tracté par une locomotive à quatre roues à vapeur dissimulée dans un énorme éléphant d’acier. Ici, pas de doute quant à l’animal imité par la machine : «c’était bien là un éléphant ! Sa peau rugueuse, d’un vert noirâtre, recouvrait, à n’en pas douter, une de ces ossatures puissantes dont la nature a gratifié le roi des pachydermes ! Ses yeux brillaient de l’éclat de la vie ! Ses membres étaient doués de mouvement !»

Cet éléphant gigantesque, haut de vingt pieds, long de trente, est avant tout qualifié de «fantaisie» et ne semble pas réellement s’inspirer de stratégies et capacités techniques spécifiques du pachiderme, apportant un caractère innovant et une plu value à ce moyen de locomotion, comme le défini l’utilisation du biomimétisme. Il est le fruit de l’idée folle et poétique du rajah de voyagerd’une façon absolument nouvelle et l’envie d’un ingénieur d’aborder le fantastique dans son travail.

Cependant, sa création présente des prouesses techniques et technologiques. Par exemple, la machine peut atteindre 25 km/h, est capable de traîner de massives constructions sans aucun effort apparent et comporte des freins atmosphériques. Par son réalisme (le mugissement très semblable au cri particulier de ces géants de la faune indienne, ses déplacements articulés,…), la création de Jules Verne met en évidence des spécificités de l’animal, comme la capacité de sa trompe à se mouvoir dans de multiples directions grâce à ses 150 muscles, qui inspirent aujourd’hui de nouvelles innovations biomimétiques.

Le Géant d’Acier, est aussi et surtout un des exemples les plus représentatifs de la confrontation entre la machine et la nature. Dans «la Maison à vapeur», une harde d’éléphants attaque le Géant d’Acier, leur modèle mécanique et le combat avec les pachydermes termine dans une apocalypse de sang.

20 000 lieues sous les mers

Au-delà de cette préoccupation pour les espaces et les espèces, Jules Verne présente une «océagonie» (en opposition à la cosmogonie de Poe) qui explique d’une façon en partie mythique, et en partie réaliste, l’histoire du monde à travers les océans. Tout n’est que flux et reflux, émergence et immersion. Des continents disparaissent (l’Atlantide), des îles surgissent (l’île Lincoln ou l’île Julia), puis disparaissent à nouveau (souvent à la suite d’une éruption volcanique). Des polypes, des coraux finissent par créer de nouvelles terres, sur lesquelles viennent se créer de nouvelles utopies.

Vingt-mille lieues sous les mers et L’Ile mystérieuse, deux sommets de l’oeuvre vernienne, mettent en exergue cette capacité de l’homme à s’adapter, à inventer de nouvelles façons de vivre en se rapprochant de cette nature non plus pour la détruire, mais bien pour entrer en connexion avec elle. Même si le sous-marin et l’île sont détruits, les anciens colons de l’île Lincoln vont tirer les leçons de leur expérience et tenter d’en faire profiter un nouveau territoire dans lequel ils s’installent à la fin du roman.

Le Nautilus

«Vingt Milles Lieues sous les mers», paru en 1869, fait le récit de l’aventure du Nautilus. Lorsque est signalée, sur les routes mari-times, la présence d’un monstre marin redoutable, une expédition s’organise pour traquer la bête, qui perturbe la circulation des navires et alarme l’opinion publique mondiale. L’Abraham Lincoln, une frégate de grande marche avec à son bord des person-nages emblématiques du roman (le commandant Farragut, le harponneur Ned Land, le professeur Aronnax et Conseil, son fidèle domestique) se retrouve alors confrontée au « monstre ». Il s’avère que ce dernier n’est pas une baleine géante, une sorte de gigantesque cétacé, ou un « kraken » démesuré. L’animal en question n’est autre qu’un engin en acier robuste, ultra-perfectionné, fonctionnant à l’électricité, en avance sur toutes les technologies de son temps. Il est placé sous l’autorité absolue d’un savantgénial qui l’a conçu et créé, un homme aussi étrange qu’hospitalier, le capitaine Nemo.

Pourtant, les similitudes avec quelque mammifère aquatique sont bien nombreuses et sont le sujet de débats et questionnements au début du roman. Le célèbre sous-marin est décrit comme un étrange animal, ou plutôt comme un savant mélange des propriétés de diverses espèces : «narval géant» ou «cétacé extraordinaire», il semble respirer de la même manière que l’animal, en revenant prendre son air à la surface. Son bruit est comparable au rugissement des baleines lorsqu’il recrache des colonnes d’eau, mélangées d’air et de vapeur par ses évents. Il semble également posséder une queue et a «la forme d’un immense poisson d’acier». Lorsque le submersible éblouit de sa lumière, par ce qui semblent être des molécules phosphorescentes, il est comparé à «un gros vers luisant». Le Nautilus est «animalisé» jusqu’à son nom, qui évoque de manière évidente les nautiles, mollusques marins dont le corps souple est protégé par une coquille spiralée.

Nous pouvons ainsi relever une certaine forme de biomimétisme dans la conception du Nautilus et il n’est pas anodin que l’animal dont il s’approche est non pas un mollusque mou à coquille mais un mammifère marin seigneur des mers et des grands fonds, le cachalot. Sa taille, ses protubérances dorsales, ses yeux rétractables, les dimensions de sa tête et surtout le spermaceti, cet organe unique qui permet la plongée par changement de densité, font du macrocéphale un modèle enviable. Peut-être la vraie raison pour laquelle Nemo les extermine avec autant de sauvagerie, comme si, chez cet être terriblement ambivalent, tuer ses doubles de chair pouvait lui éviter de regarder son œuvre dans le miroir.

Habiter la mer

Personnage principal du roman «Vingt Milles Lieues sous les mers», le capitaine Nemo, commandant du Nautilus, est décrit comme un personnage savant, ingénieur de génie au caractère sombre et mystérieux. Hanté par un passé traumatique, il a renoncé à la société des hommes et écume les mers dans un esprit de recherche scientifique et technique. À bord de son ingénieuse invention, tantôt îlot flottant à la surface de l’eau, tantôt animal sous-marin qui une fois plongé dans l’abîme des eaux, ne semble plus appartenir à la terre, Nemo semble vouloir explorer une nouvelle manière de vivre en dehors de notre société, en habitant la mer. Convaincu et amoureux de son choix de vie au plus près de cette nature foisonnante inexplorée par les hommes, il ne cesse deventer les mérites de ses «forêts sous-marines» qu’il s’approprie et prône un véritable retour aux sources. La mer est pour lui «le vaste réservoir de la nature» où commence l’indépendance et la liberté. La nature qui s’y manifeste par ses trois règnes, minéral, végétal et animal, est une incroyable ressource. À la fois ressource alimentaire (conserve d’holoturies, confitures d’anémones, crème dont le lait est produit par les cétacés, sucre fourni par les grands fucus de la mer du Nord,…) et ressource vestimentaire (étoffes tissées avec du byssus, teintures extraites des aplysies de la Méditerrannée,…). Le capitaine Némo, qui déclare que «C’est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s’il ne finira pas par elle !» semble nous guider avec enthousiasme vers les prémices d’un nouvel environnement de vie entre terre et mer.

L'émergence de nouveaux mondes sous-marins inexplorés

Dans l’œuvre de Jules Verne, la mer est fascinante par la diversité et la beauté de ses paysages. Nombreux sont les exemples qui pourraient venir illustrer ce propos : description des immenses étendues de l’Océan Pacifique (Les Enfants du capitaine Grant, L’Île à hélice), mers arctiques qui se solidifient lentement sous l’effet du froid (Voyages et aventures du capitaine Hatteras), mer souterraine découverte par Lidenbrock (Voyage au centre de la Terre), mer artificielle créée en plein désert par des ingénieurs (L’Invasion de la mer),… Toutes ces mers sont peuplées d’une faune et d’une flore dont la variété des espèces est toujours souli- gnée par l’écrivain.

Mais c’est avant tout dans le roman «Vingt Milles Lieues sous les mers» que l’on découvre la description d’une biodiversité marine foisonnante grâce aux explorations sous-marines permises par le sous-marin et l’apparition du scaphandrier. Le Nautilus permet à Aronnax et à ses compagnons de découvrir le prodigieux spectacle de la plupart des mers du globe. Émerveillés, ils rencontrent de nombreux poissons multicolores et chamarrés, parfois dangereux comme les requins ou les raies torpilles, des crustacés plus ou moins agressifs, des baleines et autres cétacés, des algues,… L’admiration d’Aronnax pour les créatures croisées lors de ses promenades ou aperçues à travers le hublot du Nautilus, se transforme parfois dans le texte en de véritables nomenclatures d’espèces, longues énumérations qui peuvent lasser ou enchanter les lecteurs. Jules Verne n’était pas naturaliste mais a su s’approprier un vocabulaire et une documentation scientifiques précises qu’il a insérés dans le fil de l’intrigue et du récit.

Dans ces mers habitées, c’est avant tout la thématique des coraux et de leurs incroyables propriétés et capacités qui marque les esprits. En effet, décrit comme des «faiseurs de continents calcaires» ou des constructeurs d’»agglomérations de maisons sous-marines», les coraux sont les ingénieurs des océans et bâtissent des cités nautiques, libres et indépendantes dont on pourrait s’inspirer pour nos propres constructions terrestres. Les coraux possèdent une existence propre, tout en participant à la vie commune. Ce qui semble être pour l’écrivain «une sorte de socialisme naturel». Ils sont à la base de constructions grandioses qui hébergent une incroyable biodiversité, aussi bien sur terre que sous l’eau : vastes pans de rochers revêtus d’une splendide fourrure verte d’algues et de fucus, forêts minéralisées, archipels, continents nouveaux, îles qui émergent,… On retiendra également que ces polypes coralliens, qui participent largement à fonder un environnement de vie durable pour de nombreuses espèces, ne travaillent pas seuls et collaborent avec un ensemble écosystémique bien pensé. À titre d’exemple, les multiples espèces d’algues, qui leur permettent notamment de survivre, sont à l’origine d’architecture sous-marines fantaisistes, basées sur un principe de verticalité. Les éponges de mer quant à elles, sont dotés d’une structure fascinante, à la fois souple, légère et extrêmement resistance.

Dans «Vingt Mille Lieues sous les mers», la découverte de ces infrastructures sous-marines nous étonne, nous émerveille, et nous inspire encore aujourd’hui.

L'aérien et l'espace

Découvrir ou conquérir

Dans «De la Terre à la Lune», paru en 1865 et «Autour de la Lune», paru en 1869, la Lune est vue comme un nouveau monde, un lieu de renouveau. «Quelle ville grandiose on construirait dans cet anneau de montagnes ! Cité tranquille, refuge paisible, placé en dehors de toutes les misères humaines ! Comme ils vivraient là, calmes et isolés, tous ces misanthropes, tous ces haïsseurs de l’humanité, tous ceux qui ont le dégoût de la vie sociale !» disait d’ailleurs l’aventurier Michel Ardan, personnage créé par Jules Verne. Cependant, une tension traverse les deux romans, entre le désir de découvrir et le désir de conquérir : coexistent en effet deux formulations ambigües «envoyer dans» et envoyer «à la Lune».

Ainsi, le message du roman est ambivalent, optimiste ou pessimiste. Optimisme si l’on voit la capacité de ces hommes de guerre à se transformer, pessimisme si l’on n’y voit qu’un simple déplacement, faute de mieux. On se demande alors si le progrès va dans le sens de la construction ou de la destruction. C’est notamment ce que souligne une certaine conversion entre nature et artillerie : l’assimilation du volcan au canon (dans sa forme et sa fonction). Canons comme des «volcans artificiels, fabriqués», ce que souligne l’illustration de De la Terre à la Lune, et assimilation réalisée dans «Sans dessus dessous», en 1889 lorsque le boulet est placé à l’intérieur d’un volcan. Est-ce un dévoiement de la nature, la reconquète de cette dernière sur la folie des hommes, ou une façon de renaturaliser l’artillerie ?

Et Jules Verne dans l'écologie ?

Verne est un visionnaire de la nature. Il exalte sa démesure «incommensurable», il célèbre sa puissance et son harmonie, mais aussi son exubérance, sa violence. Mais la nature vernienne n’est pas seulement «une fête des yeux». Cet écrivain du XIXème siècle nous aide à trouver dans la nature un ancrage de résistance, qui conserve pour ses lecteurs du XXIème siècle la force d’un signal impératif et impérieux, et continue à faire sens. Ces textes sont un appel à la détermination face à tant de périls qui montent, périls aussi menaçants pour les sociétés humaines que pour leur environnement naturel.

Jules Verne serait-il alors un précurseur de l’écologie et de ses enjeux ? La nature selon Jules Verne, et plus précisément selon le génie littéraire vernien, est une « nature-avec-les-hommes ». Sa puissance, certes intacte — à son époque… — ne s’affirme que comme un défi lancé à la fois au savoir humain et à l’action humaine. À l’époque de Jules Verne, la nature pouvait passer pour un réservoir inépuisable de ressources, mises à la disposition des humains. Mais à l’orée du XXIème siècle, nous portons sur la nature — et sur les textes de Jules Verne qui la célèbrent — un regard tout différent. La nature, à un siècle et demi de distance, est certes restée la partenaire privilégiée du devenir des sociétés, telle que le préfiguraient les romans de Jules Verne. Mais c’est sur le mode de la responsabilité face aux périls qui montent, et non plus sur celui d’un « futur » optimiste, celui d’un progrès technique illimité comme semblaient l’être les ressources de la nature elle-même. Relire les roman de Jules Verne à notre époque, c’est mesurer la rigueur des agressions que lancent la modernité, à la fois contre les sociétés et contre la nature dont celles-ci restent si dépendantes. Jules Verne, dans son enthousiasme pour les beautés et les violences de la nature, vient opportunément nous rappeler que la défense de ce patrimoine naturel en grand péril se confond avec la défense même des humains. Tout comme au temps de Jules Verne, nos sociétés restent solidaires de la nature. Même si, désormais, cet ancrage « naturel » n’exprime plus tellement un défi futuriste lancé par les humains aux forces de la nature, mais plutôt un rappel de nos responsabilités envers l’avenir de nos sociétés — avenir dont la nature est partie intégrante.