Alizée Gerard vous donne sa définition du biomimetisme ou comment imiter la nature pour innover de façon durable.

La nature comme source d'inspiration

La nature est, depuis 3,8 milliards d’années, comme un gigantesque laboratoire capable d’inventer d’habiles stratagèmes pour s’adapter à son environnement de vie. Elle est composée d’une incroy- able diversité d’organismes vivants évoluant dans des modes de vie et des habitats spécifiques. Elle innove sans cesse en optimisant les différentes formes de vie et leurs interactions. Si la nature a su mettre au point et perfectionner des solutions tout au long de l’évolution par le vivant, pourquoi ne pas s’en inspirer et puiser dans les multiples principes et stratégies qu’elle nous présente pour évoluer et innover à notre tour, de manière durable ?

C’est ce à quoi nous invite la démarche du biomimétisme. Ce concept – du grec bios (vie) et mimesis (imiter) – a été théorisé pour la première fois en 1997 par la scientifique américaine Janine Benyus à travers son livre Biomimicry : Innovation Inspired by Nature. Cette méthodologie pluridisciplinaire s’inspire du génie de la nature pour tirer parti des solutions et inventions qu’elle nous a concocté. Elle fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, qu’il s’agisse de formes, de matériaux, de propriétés ou de fonctions, pour concevoir des objets et systèmes adaptés aux exigences du développement de nos sociétés humaines.

Si déjà au XVe siècle, Léonard de Vinci avait utilisé les principes du biomimétisme pour concevoir l’ornithoptère, inspiré du vol des oiseaux, le concept va aujourd’hui plus loin et nous invite à penser nos villes de demain plus résilientes, autonomes et vivantes. Il apporte un nouveau regard sur les richesses de la planète et offre un nouveau rapport entre l’Homme et son environnement naturel. Il nous mène vers une nouvelle croissance durable et soutenable. Vers des sociétés humaines plus compatibles avec un environnement de vie qu’elles partagent avec des millions d’espèces vivantes.

Un vecteur fort d'innovation

Sous le terme de biomimétisme, on regroupe toutes les ingénieries inspirées du vivant. Cette ap- proche de R&D cherche à s’appuyer sur l’intelligence et la sobriété des principes biologiques pour répondre aux problématiques qui se posent à notre société humaine et concevoir des technologies impactantes et durables. Le tout en prenant en compte des coûts environnementaux et énergétiques réduits.

Le champ des applications de cette méthode de conception“bio-inspirée” est vaste et variée dans les domaines scientifiques, techniques ou industriels. Les perspectives en matière d’innovation sont multiples et s’appuient sur trois grands types d’inspiration : les formes et structures, les matériaux et procédés, les fonctionnements et organisations. Que ce soit au niveau écologique, énergétique, économique ou encore sociétal, le vaste réservoir de la nature a beaucoup à nous apprendre en matière d’innovation.

On retrouve souvent des confusions sémantiques entre le biomimétisme, la bionique et la bio-inspi- ration. La bionique est une discipline qui cherche à utiliser dans l’électronique les dispositifs imités du monde vivant. La bio-inspiration quant à elle est une approche créative qui conduit les concepteurs à s’inspirer de la nature pour développer de nouveaux systèmes. Si les principes sont similaires, le biomimétisme se différencie par l’implication du développement durable et de la préservation de la nature dans la conception des innovations de demain.

Une réconciliation avec la nature

Dans nos sociétés modernes nous avons tendance à développer un rapport de prédation à la Terre, à dominer et à exploiter la nature, bien loin de la prise de conscience collective que le biomimétisme a pour ambition d’engendrer. Pourtant d’après Gauthier Chapelle, Ingénieur agronome et docteur en biologie, les grandes innovations du vivant seraient toujours nées de la coopération et de la symbiose entre les êtres vivants, et non de la compétition. Toutes les espèces travaillent ensembles à garder un système stable dans un environnement qui change et évolue en permanence. C’est de cette relation de coopération que nous devons nous inspirer.

Le biomimétisme a donc également pour vocation de lier, de rassembler les hommes entre eux et les hommes aux autres espèces qui occupent la planète. De fonder un environnement qui évolue lui même en faveur de la préservation des espèces qui l’habitent. L’objectif étant de permettre une reconnection avec notre environnement de vie, une prise de conscience de notre pleine appartenance à la Nature.

Au travers de son livre, Janine Benyus met en évidence cette approche et propose de développer une attitude de respect et d’écoute envers la nature qui nous environne. De la considérer non plus comme une réserve de ressources inépuisable mais comme un guide, un co-équipier à la fois ingénieur et designer, capable de créer des formes et mécanismes sans cesse réadaptés aux conditions de vie. Le biomimétisme nous invite alors à comprendre que la coopération est la clé pour changer notre rapport à la Terre et notre manière de concevoir nos territoires futurs.

Une démarche transdisciplinaire

Au-delà d’une coopération avec la nature, le biomimétisme implique un travail transdisciplinaire et rassemble de multiples domaines d’expertise autour des mêmes enjeux. C’est de cette coopération que naît le concept même du biomimétisme puisqu’il mène à des questions transversales qui rassemblent des disciplines variées telles que le design, l’architecture, l’ingénierie, l’écologie, ou les sciences.

Dès lors, les hommes travaillent ensemble à observer, comprendre la biodiversité pour façonner les formes, matériaux et modes de fonctionnement de nos villes futures. Le biomimétisme est la rencon- tre de plusieurs mondes et englobe une multitude de secteurs d’activités humaines. La démarche est par nature interdisciplinaire : la recherche fondamentale va permettre d’observer, d’analyser et de modéliser le vivant. La biologie va permettre de pousser le concept et de mieux le comprendre. L’ingénierie, le design, l’architecture vont quant à eux, selon les domaines d’application, permettre de traduire ces stratégies en concepts techniques et en développement de projets innovants. Bien évidemment, l’écologie joue également un rôle important pour intégrer les enjeux environnementaux et le développement durable aux projets, si essentiels à ce changement de paradigme dans notre relation avec la biosphère.

Vers la durabilité

La nature est aussi le lieu de processus et de modes de fonctionnement qui, en général, ne gaspillent pas inutilement et fonctionnent en cycles, où les déchets des uns deviennent les ressources des au- tres. Elle peut donc être prise comme modèle pour le développement durable. Non seulement les organismes vivants nous inspirent, mais ils sont passés experts pour prospérer gracieusement et à long terme sur Terre.

Le biomimétisme se veut un outil au service du développement durable. Il nous rappelle que les innombrables recettes, astuces, techniques et modes d’organisation produits par les quelque 10, millions d’espèces actuelles leur ont permi de vivre, survivre et évoluer sans cesse. L’objectif étant de relever les défis du développement durable, de permettre une transition sociale, environnementale et économique vers de nouveaux modes de vie. Le biomimétisme a pour vocation à tendre vers un idéal éco-responsable, à remédier à la problématique du changement climatique pour vivre durablement, en équilibre avec la terre.

En résumé

La promesse du biomimétisme, c’est de tirer parti du plus ancien et du plus vaste des laboratoires de R&D : la Nature. Elle nous offre la plus belle des évidences, 3,8 milliards d’années d’innovation.
Le bénéfice du biomimétisme réside donc dans le fait de décrypter et de transposer des techniques et des fonctions éprouvées par les millénaires d’évolution. Le vivant a eu le temps de trouver des solutions appropriées pour répondre à une large gamme de défis, et assurer le quotidien et la survie de plusieurs dizaines de millions d’espèces différentes, dans des environnements sous contrainte. En résulte un prodigieux gisement d’idées et d’approches sophistiquées, optimisées et sobres. Une opportunité inédite pour innover !

Aller chercher l’inspiration dans la nature n’est pas une idée neuve. La pratique a été courante tout au long de l’histoire de l’humanité. Mais imiter la nature pour innover de façon durable, voilà une idée qui prend tout son sens au moment où la France s’engage dans une transition à la fois énergétique et écologique. C’est cette ambition que porte le biomimétisme. Contrairement à la révolution in- dustrielle, la révolution biomimétique ouvre une ère qui ne repose pas uniquement sur ce que nous pouvons prendre dans la nature, mais sur les possibilités offertes par la nature pour modifier notre façon de cultiver, de fabriquer des matériaux, de produire de l’énergie, de nous soigner, de stocker de l’information et de gérer nos entreprises. Et tout ça dans le but de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines plus compatibles avec la biosphère.

Des bâtiments construits sur le modèle des éponges de mer, de l’énergie hydrolique inspirée par la nage ondulatoire de la murène… Qui sait, nos villes de demain ressembleront peut-être à un savant mélange de solutions trouvées dans la nature ?